A la tête du Pôle Mer Méditerranée depuis sa création en 2005 Patrick Baraona a annoncé officiellement aux membres, partenaires et collectivités son départ à la retraite à compter du 1er février 2021. Cet interview est l’occasion de revenir plus longuement sur son parcours, le développement du pôle et sa vision de l’économie maritime et littorale.
Patrick Baraona, vous êtes arrivés avant la labellisation du Pôle, quelles étaient vos motivations pour vous investir dans ce projet?
Je venais de mettre un terme à une longue aventure (presque 20 ans) au sein d’une spin off de Comex la société Cybernetix, PME que j’ai contribué à développer jusqu’à une introduction en bourse et que j’ai dirigée pendant de nombreuses années.
Le lancement de la politique des Pôles de compétitivité m’a tout de suite intéressé et j’ai su que le projet de Pôle Mer à l’époque dénommé «Mer, sécurité et sureté» était à la recherche d’un directeur de projet. Un Pôle de compétitivité se définit comme une entité propre à faire travailler ensemble les entreprises (grande, moyenne et petites) avec la recherche publique (Instituts, universités), avec pour objectif de construire des projets collaboratifs innovants débouchant sur des nouveaux produits et services. Tout cela à l’échelle d’un territoire à minima une Région et sur une thématique précise (pour nous la mer et le littoral). Cette approche m’a tout de suite parlé car la société que je dirigeais était une société de recherche sous contrat dont l’innovation et la R&D étaient les moteurs, et ma formation initiale de docteur en automatique complété par un an en tant qu’ingénieur de recherche aux USA pour le compte de l’INRIA (Rhode Island) me permettait d’appréhender autant les préoccupations des entreprises et notamment les PME mais aussi la recherche et l’enseignement supérieur.
Enfin le croisement des priorités des adhérents du Pôle avec les politiques nationales et territoriales donc une notion de service public rendu à la nation pour améliorer la compétitivité de son tissu économique a été une motivation supplémentaire.
Le Pôle abrité par l’association TVT a été labellisé par l’Etat le 12 juillet 2005 comme Pôle à vocation mondiale moins de deux mois après mon arrivée et c’est là qu’une nouvelle aventure a vraiment commencé.
Quel a été votre moteur durant ces 15 ans pour faire grandir le pôle ?
En fait je n’ai pas eu qu’un seul moteur, c’est un peu comme aujourd’hui ce qu’on appelle le mix énergétique. Tout d’abord, bien sûr l’innovation, mais surtout ma passion pour le développement économique que ce soit au niveau des sociétés que des territoires où nous sommes implantés. Ce développement fondé sur la capacité d’innovation des acteurs, nécessite d’abord une volonté partagée de travailler ensemble entre industriels et chercheurs malgré les différences structurelles et les concurrences inévitables dans un monde très compétitif, et le travail du Pôle c’est de créer les conditions de cette collaboration et de l’animer. Enfin, mon intérêt très vif pour tout ce qui touche aux activités maritimes et littorales, «la grande bleue», a été au cœur de mon investissement. Tout cela a nécessité une implication quotidienne sans faille de toute l’équipe du Pôle qui a grandi au fil des ans, nous étions 5 au départ et plus de 25 maintenant afin de développer notre réseau d’adhérents (passé d’une centaine en 2005 à plus de 430 aujourd’hui) et surtout de faire prendre conscience à tous les décideurs publics de l’importance stratégique de l’économie bleue et du très grand potentiel existant sur la façade méditerranéenne française alors que celui-ci n’était quasiment pas visible en 2005 .
La satisfaction de voir progressivement les soutiens initiaux de l’Etat, de la Région Sud Provence -Alpes-Côte d’Azur et de Toulon Provence Méditerranée amplifiés puis rejoint par de nombreux autres comme les Métropoles de Nice et d’Aix Marseille Provence, la ville de Marseille et plus récemment la Région Occitanie (2013).
Bien sûr la reconnaissance par nos adhérents, en particulier la gouvernance du Pôle et ses élus, ainsi que par nos cofinanceurs de la qualité du travail accompli, visible notamment à travers les près de 500 projets (plus d’1,2 Mds € de budget) labellisés depuis sa création et dont 75% d’entre eux ont été cofinancé, ou les actions d‘accompagnement des entreprises à l’export à travers les grands salons du maritime et missions internationales a largement contribué à maintenir une motivation sans faille pour continuer à construire et développer le Pôle.
Si vous deviez citez trois faits marquants de ces 15 ans d’activités, que choisiriez-vous?
C’est une question difficile car en plus de 15 ans il y a eu de très nombreux faits marquants et je ne voudrai pas faire croire à travers la mise en avant de quelques-uns que ceux sont les seuls qui aient vraiment comptés.
De manière plus générale je parlerai plutôt de séquence ou résultats tangibles qui ont permis au Pôle d‘être ce qu’il est aujourd’hui.
En premier lieu je reviendrai sur l’image de l’économie bleue aujourd’hui sur la façade méditerranéenne, elle est devenue plus que visible et surtout présente dans toutes les stratégies de développement économique, enseignement-recherche et innovation des Régions mais aussi des Métropoles voire des villes littorales, si on compare à la situation de 2005 c’est pour moi le résultat le plus tangible et porteur pour l’avenir.
Un autre élément qui est un marqueur fort de la politique des Pôles, ce sont les évaluations régulières de la performance des Pôles tous les 4 à 5 ans en moyenne. La première reste un très bon souvenir en 2008, car le Pôle a été évalué parmi les 5 les plus performants sur l’ensemble des 71 Pôles labellisés initialement. Ce fut une grande satisfaction pour l’ensemble de notre écosystème. Dans le même ordre d’idée, l’élaboration de nos différentes feuilles de route jalonnant les quatre phases de la politique des Pôles et devant répondre à la fois aux demandes de l’Etat et bien sûr aux priorités de développement de nos adhérents. A titre d’exemple, le passage de l’usine à projets après la phase 1 à l’usine à produits d’avenir en phase 2, l’objectif d’équilibre de notre modèle économique entre les recettes privés et publiques, l’Europe, l’international… A chaque fois l’établissement de ces feuilles de route en lien étroit avec la gouvernance du Pôle (élus et partenaires) et notre Pôle jumeau le Pôle Mer Bretagne Atlantique que l’on évoquera plus tard ont été des grands moments de la vie du Pôle.
Enfin, troisième fait ou développement marquant pour le Pôle en 15 ans, c’est l’accompagnement des entreprises vers le marché au-delà de l’innovation déjà citée. Et cela s’est construit très tôt dès 2006 à travers des missions ciblées à l’international avec l’aide des services de l’Etat (DGE, Business France) et des Régions et CCI, des salons (Euronaval, Oceanology International, Seanergy, Assises de l’Economie Maritime, Euromaritime…) où le Pôle a monté des stands collectifs accueillant environ une quinzaine de nos membres et enfin des manifestations d‘envergure construite par le Pôle dont la plus emblématique est FOWT (Floating Offshore Wind Turbines) qui rassemble annuellement maintenant près d’un millier de participants de tous les pays.
Il existe un autre Pôle Mer en France quelles ont été les relations avec lui?
En effet deux dossiers de candidature Pôle de compétitivité sur la thématique mer etlittoral ont été construits à l’origine dans deux Régions, Provence – Alpes- Côte d’Azur et Bretagne sous l’impulsion de DCNS devenu Naval Group. Le cahier des charges des Pôles de Compétitivité n’autorisait pas à des projets se trouvant sur des Régions non contiguës de ne faire qu’une seule réponse. Pour que dans son analyse l’Etat n’ait pas à choisir entre un des deux ou bien rejeter les deux dossiers, les feuilles de route initiales des deux Projets de Pôle ont été étroitement coordonnées (même thématiques) et une charte de coopération entre les deux Pôles a été signée par les Présidents pour garantir que les projets que nous labelliserions ne soient pas redondants afin d‘éviter des cofinancements publics non justifiés. Par ailleurs un certain nombre de sujets nationaux (liens avec les ministères et syndicats professionnels) ou internationaux (missions, salons) faisaient et font toujours d’ailleurs l’objet de concertation et de mutualisation. Ceci a conduit à une labellisation des deux Pôles Mer en Pôle à vocation mondiale avec une reconduction de leur label jusqu’à ce jour. Dans la phase 4 des Pôles démarrée en janvier 2019 pour 4 ans, nous avions prévu de renforcer encore nos liens avec la création d’une structure commune dénommé JV Pôle Mer. J’ai eu la chance de pouvoir mener ce dossier jusqu’à son terme puisque cette JV a été créée tout début janvier 2021 et cet outil sera très utile dans l’avenir aux deux Pôles Mer pour déployer leur stratégie au niveau national, européen et internationale avec une ambition encore plus renforcée.
Quel est votre meilleur souvenir au sein du Pôle?
Je ne ferai pas de choix car il y en a trop et je dirai tout simplement comme Brassens dans une de ses chansons, « il n’y a rien à jeter il faut tout emporter», les fans la reconnaitront.
Que souhaitez-vous au pôle et plus largement au développement de l’économie maritime et littorale?
Qu’elle brille de plus en plus au firmament des politiques publiques. On sent depuis quelques années une prise de conscience politique de l’importance stratégique du développement durable de l’économie maritime et littorale, que ce soit au niveau des territoires que de l’Etat central. Beaucoup d’acteurs travaillent tout comme les Pôles Mer à faire de la France un grand pays maritime sur le plan économique qu’il est par ses espaces métropolitains et ultra marins (2ème ZEE mondiale), je citerai et c’est loin d’être exhaustif le Cluster Maritime Français, la filière des industriels de la mer et les syndicats professionnels qui la composent et toutes les structures régionales et nationales qui peuvent à la même cause. Je reprendrai une phrase bien connue mais qui va bien à notre action, «tout seul on va plus vite mais ensemble on va plus loin». Cela a été démontré pendant l’année 2020 et l’apparition de la pandémie de la Covid-19 et c’est ce que le Pôle Mer Méditerranée doit continuer à faire; fédérer au-delà de son réseau toutes les forces vives et les bonnes volontés qui veulent faire de la façade méditerranéenne française une référence dans l’innovation maritime et le développement durable de la mer et du littoral créatrice d’emplois, tout ceci en s’appuyant sur la transition énergétique écologique et numérique qui démarre et qui ne pourra que s’amplifier dans les années qui viennent. Cette dynamique que va porter la nouvelle gouvernance du Pôle récemment élu le 20 novembre 2020 et mon successeur Frédéric Poignant conduira encore à un renforcement de la compétitivité de nos entreprises avec les retombées sociales positives induites à travers l’emploi mais également au bien être des habitants du littoral qui pourront bénéficier d’un littoral protégé et préservé tout en étant porteur de développement.
Je souhaite donc au Pôle dans sa globalité, ses salariés comme ses adhérents et partenaires que les 15 prochaines soient tout aussi passionnantes que cette première tranche de vie puisqu’il sort à peine de l’adolescence si j’ose ce parallèle avec nous.
Une longue vie et de nouveaux succès qui viendront enrichir son histoire qui ne fait que commencer.